Larguer les amarres, ce n’est pas fuir.
C’est ralentir, créer de l’espace, se retirer du bruit du monde
pour mieux entendre ce qui remue en soi.
En ce mois de décembre 2024, j’ai choisi de m’exiler dans l’archipel des Canaries.
Pas celles des brochures.
Celles que l’on découvre à pied, en silence, en regardant les couleurs
vibrer chaque jour, en se laissant happer par l’horizon atlantique.
Je l’avoue, je suis partie avec un a priori :
celui d’un archipel trop balisé, trop bruyant, trop consommé.
Ce que j’ai vécu est venu répondre, en douceur
mais en opposition, à ce que je m’attendais à vivre.
Plusieurs escales, et une certitude pour tous les voyageurs :
on peut aussi larguer les amarres sans traverser l’Atlantique.
Deuxième partie
De Lanzarote à La Graciosa, marcher vers la sérenité
À Lanzarote, la terre est cuivre, feu et vent. Les volcans dessinent le relief, les couleurs frappent. Tout semble avoir une teinte propre, comme si la nature avait pris soin d’organiser sa palette.
Je pose mon sac pour quelques jours à Famara, un petit village aux maisons blanches et aux rues de terre. Pas de panneaux publicitaires. Pas de constructions outrancières. Rien ne dépasse deux étages, comme l’a voulu César Manrique.
Je pense à lui chaque jour ici, à cette lutte silencieuse qu’il a menée pour préserver l’île de l’excès. Ici, l’architecture épouse le paysage, elle ne l’écrase pas.
La fondation qui lui est consacré à Arrecife est dans la singulière et spectaculaire maison que César Manrique projeta à son retour de New York, lorsqu’il décida de s’installer de façon définitive à Lanzarote. Construite dans les coulées de lave, elle est une fusion entre le volcan et l’architecture dans une relation de respect mutuel.
Elle incarne cette vision : vivre avec le lieu, et non contre.
Hors de mes heures de travailleuse nomade et d’écriture, je sors marcher. Chaque jour. Dans le vent tempétueux de l’hiver atlantique. Sin la libertad no puedo vivir…;)
Un jour, je repense à l’origine du mot “ Canarias ”. Ce n’est pas l’oiseau qui a donné son nom à l’archipel, mais le chien, canis, en latin. C’est donc Canariae Insulae qui signifie “Iles aux chiens”.
Les premiers navigateurs auraient été surpris par la quantité de chiens errants sur ces terres.
D’autres recherches mentionne des origines alternatives : culte d’un dieu-chien par les Guanches, habitants aborigènes des îles ou encore présence de phoques moines, appelés Canis Marinus en latin c’est à dire “chien de mer”.
Et, il fallait bien que l’un d’eux me retrouve, moi navigatrice terrestre à deux pattes.
Un après-midi, je m’éloigne de Famara vers le sud, par le sentier du littoral vers Caletta de Caballo. Au retour, je contourne les multiples calderas, par le village de Soo.
Je suis apostrophé par un métissage canin particulier. Je l’appellerai Leon.
Je le crois d’abord belliqueux et j’imagine mes mollets sous ses crocs. Mais nouveau contrepoint, il cherchait simplement un complice de fugue.
Leon est un errant, libre, discret, presque fier.
Je finis par lui adresser la parole… L’âme humaine solitaire polit parfois le temps en parlant à l’animal.
Nous grimpons ensemble jusqu’au sommet de la Montana Cavera. Coucher de soleil. Silence.
La palette s’étire de l’ocre au sable. C’est lunaire. L’image est magnétique.
Sur le chemin du retour, je dois jouer de stratagèmes pour que Leon perde ma trace…
Et j’espère que Léon, ce canis familiaris de passage, aura trouvé un doux refuge quelque part.
Une autre session de marche depuis Famara me mène jusqu’au village de Teguise, authentique et préservé, niché dans l’intérieur des terres. Son centre historique est un voyage en soi. Et comme souvent sur mes chemins imprévus, je tombe sous une pluie battante inattendue. Littéralement trempée jusqu’aux os, frigorifiée, je trouve refuge dans le bus du retour.
Petit aparté utile : à Lanzarote, il est tout à fait possible de se déplacer en bus.
Les liaisons sont régulières, fiables, et offrent une belle alternative à la voiture pour découvrir l’île à son rythme.
Ancienne capitale de Lanzarote jusqu’en 1847, Teguise conserve un ensemble remarquable de bâtiments à l’architecture coloniale. Marcher dans ses rues pavées, c’est effleurer un pan de l’histoire de l’île au cours des premières années de la présence coloniale.
Je ne suis de passage sur ces terres volcaniques que quelques jours seulement et j’ai donc opté pour une voiture de location. J’ai délaissé le sud et concentré mes échappées sur le nord, plus sauvage, lors de mes deux dernières journées d’école buissonnière.
Le chemin que l’on emprunte ressemble souvent à notre nature intrinsèque.
Et depuis Famara, quelque chose m’attirait. Une terre, là, face à moi. Silencieuse, posée sur l’horizon, comme un secret qu’on aurait oublié de me révéler. Je l’observais chaque jour, fascinée, sans savoir encore comment l’atteindre.
Quelque chose était inscrit et mon intuition m’a guidé… et je me suis retrouvée en fin de journée dans le village reculé d’Orzola, à l’extrême nord de Lanzarote. Ici est le point de passage, le point de traversée vers elle, La Graciosa.
Mon coup de cœur. Le point culminant de mes quarante jours d’exil hivernal.
Dans le parc naturel de l’archipel de Chinijo, c’est là que toute la notion de “Larguer les amarres” s’exprime quand il est question de trouver ou de retrouver la sérénité.
Cette terre triangulaire en déborde. Elle se révèle être un endroit propice au retrait des tumultes sociétaux pour tout voyageur sensible et singulier.
Et pour l’appréhender pleinement, quoi de mieux que de l’arpenter à pied, en solitaire : du sud au nord, de Caleta de Sebo à Pedro Barba, d’est en ouest, des calles désertes à la plage de Las Conchas.
Tout est munificent, tout est inspirant.
Trente kilomètres de pur dépouillement.
Trente kilomètres pour se taire, écouter, s’écouter.
Trente kilomètres pour vraiment marcher et ressentir.
La Graciosa est une île-refuge. Une île pour les voyageurs sensibles et singuliers, j’y reviendrai, j’en suis persuadée.
Voyager est à la portée de chacun. Là où chacun peut aller.
Parfois, il suffit d’aller au bout d’une rue, d’un chemin, d’un souffle ou d’une intuition.
À Lanzarote, puis à La Graciosa, j’ai trouvé un équilibre rare entre dépouillement et plénitude.
J’y ai marché en réflexion, vers l’essentiel.
Et dans ce paysage brut, sculpté par le feu et caressé par le vent, j’ai compris que le voyage le plus profond est souvent celui qu’on fait à l’intérieur.
Ce n’est pas la distance qui compte, mais ce qu’on laisse derrière et surtout ce qu’on vit et découvre en chemin.
Ce n’est pas nous qui créons le voyage. C’est le voyage qui nous crée.
📍 Où dormir à Lanzarote ?
Finca Barbara – Casita & Loft, Famara
La Casita de Barbara est idéale pour une personne seule ou un couple. Et si vous êtes plusieurs, misez plutôt sur le Loft.
Chez Barbara, vous êtes à l’écart du village de Famara, dans un lieu préservé, propice au calme et à la contemplation. De là, toute l’île est accessible.
Barbara est allemande, mais a vécu à Rouen avant de rejoindre cette maison familiale.
La rencontre a été spontanée, sincère. Nous avons échangé quelques mots le jour de mon départ, mais j’aurais pu parler des heures avec elle,de la Normandie, de Lanzarote, de la vie et de ce que cela signifie, “partir”. Ces instants-là comptent. Ce sont eux qui laissent une empreinte.






































